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je voulais juste travailler

Harcèlement au travail

sans être agressée, violée ou insultée

mardi 20 février 2007, par Céline Chaudeau

Elle a gardé une photo. Une jolie blonde, le visage grimé de charbon, emmitouflée dans une épaisse doudoune. « C’était mon armure », sourit Lois Jenson aujourd’hui. Pas contre le froid ni un éventuel accident. Contre ses collègues, surtout. Elle a alors 30 ans.

Plusieurs années durant, elle a été draguée, pelotée, humiliée, insultée, menacée et même agressée. Jusqu’à ce qu’elle craque. Un jour, elle a porté plainte pour harcèlement sexuel, avec vingt autres employées de la mine. Elle a été, sans le savoir, une pionnière de la cause féminine. Cela a duré de longues années, mais elle a triomphé.

Elle a même gagné le droit d’inspirer une superproduction hollywoodienne.

Dans L’affaire Josey Aimes (1), Charlize Theron incarne cette gamine du Minnesota qui avait la mine dans le sang.

Elle s’est battue plus de quatorze ans.

Son père et ses deux frères y travaillaient. D’abord secrétaire à Minneapolis, elle a un enfant, s’installe avec un homme, mais se sépare vite. Elle gagne mal sa vie et repense à la mine. Les conditions de vie y sont dures, mais le salaire payant. Quand elle apprend, en 1975, que les mines Eveleth cherchent du personnel, elle est une des première femmes embauchées. A peine débarquée au charbon, elle ressent pourtant l’hostilité de ses collègues masculins.

« On aurait cru qu’ils n’avaient jamais vu une femme de leur vie... » Six cents hommes et quatre femmes travaillent alors à la mine. « Je ne connaissais personne. J’étais intimidée. » Mais elle gagne trois fois son salaire de secrétaire. De quoi essayer d’oublier les brimades, les posters douteux, les graffitis obscène ou encore les traces de sperme essuyées sur ses vêtements...

La féminisation croissante de la profession n’y change rien. « Nous étions toutes comme bizutées tous les jours. » Lois Jenson craque en 1984 lorsque ni la direction, ni même les syndicats n’acceptent d’intervenir. Elle porte plainte auprès de la commission des droits de l’homme du Minnesota.

« C’est à cette époque qu’un de mes chefs m’a violée. Il m’a attrapé les poignets et m’a allongée. Cela a duré quinze minutes. Une éternité. » Sa voix chevrote : « J’étais terrifiée. Il fallait faire quelque chose ».

Dans la vraie vie, elle s’est battue pendant plus de quatorze ans pour obtenir gain de cause. Le procès a failli la détruire. Aujourd’hui encore, elle ne sait pas exactement ce qui lui a pris de se plaindre de sa condition. « Je voulais juste pouvoir travailler sans être agressée, violée ou insultée », résume-t-elle.

15 millions de dollars pour les plaignantes dont 1 pour Lois

Elle n’imagine pas, en portant plainte, combien la route sera longue. En 1987, la mine est condamnée à lui payer 11 000 dollars de dommages et intérêts ainsi qu’à appliquer un règlement interne sur le harcèlement sexuel. Quand la compagnie refuse de se plier au jugement, Lois Jenson continue ses poursuites.

En 1988, elle dépose un recours collectif au nom des employées de la mine. Elle doit quitter son poste, en 1992, pour raisons de santé. Elle se remet mal d’une pneumonie, sombre dans la dépression, mais s’accroche à son combat. La mine aura tort de faire traîner les choses : dix ans plus tard, en 1998, un ultime jugement la condamne à verser 15 millions de dollars aux plaignantes, dont 1 million à Lois Jenson. Les entreprises américaines sont désormais prévenues.

A 57 ans, Lois n’a pas quitté le Minnesota, mais vit aujourd’hui à Iron Range, loin de la noirceur des mines. Le film lui a fait, dit-elle, le plus grand bien.

Longtemps elle s’en est voulue d’avoir imposé un tel procès à son fils et à sa famille. « L’équipe nous a traitées avec beaucoup de respect et nous a donné le sentiment que nous avions fait quelque chose d’important », insiste-t-elle.

A l’instar d’Erin Brockovich, Lois Jenson s’est revue, à l’écran, seule contre tous, à bout et déterminée, incapable de courber l’échine.

« Quelque part, ce film a transformé ma vie en destin. »

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Jenson en bref :

• En 1975, à 26 ans, elle est l’une des premières femmes américaines à travailler dans une mine. » Entre 1984 et 1988, elle porte plainte pour harcèlement sexuel au nom de toutes ses collègues.

• En 1998, au terme d’un procès-fleuve, elle gagne le premier procès collectif pour harcèlement et fait jurisprudence. « En 2O06, sa vie est portée au cinéma.

* Seul son nom a été changé. Dans L’affaire Josey Aimes, Charlize Theron incarne Lois Jenson, la première femme à avoir gagné un procès pour harcèlement sexuel aux Etats-Unis.

** Une histoire qui fait date :

« II faut se rappeler de Lois Jenson. »

Catherine Vautrin, la ministre française déléguée à la Cohésion sociale et à la Parité, y va de sa chaude recommandation dans le dossier de presse du film. En France, le harcèlement sexuel est reconnu comme un délit pénal et une infraction au code du travail depuis 1992.

Les condamnations sont peu nombreuses, mais cette notion a au moins le mérite d’exister. Et le dispositif français va se voir bientôt renforcé par une nouvelle directive européenne qui devrait clarifier et harmoniser la situation dans l’ensemble de l’Union.

CÉLINE CHAUDEAU


P.-S.

celine.chaudeau@emapfrance.com

(1) L’affaire Josey Aimes, de Niki Caro, avec Charlize Theron, actuellement au cinéma.

recopié de la revue "Closer 33"

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